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La Fille Horizontale
23 janvier 2013

Comment je suis tombée amoureuse au premier regard (parce que je suis une fille cool et un peu désespérée)

Avril 2006- Marseille

 

Je fais le pied de grue devant le Moulin.

Je suis venue trop tôt. Trop impatiente pour rester chez moi. Trop naïve aussi. Rappel à moi-même pour plus tard: les files d'attente de trente mètres de long devant les salles de concert, c'est pour les groupes connus. Eux, de toute évidence, ne le sont pas. Pas encore. D'ailleurs je ne les connaissais pas, non plus, avant la semaine dernière où lors d'une heureuse insomnie, j'ai décroché mon téléphone pour appeler la radio le Mouv' et gagner une place pour assister à leur concert. Juste parce qu'il était à côté de chez moi. Et que je m'ennuyais. Mais depuis, je me suis rattrapée, je suis allée à la fnac acheter leur album, je l'ai écouté, j'ai kiffé, et j'ai décidé que oui, ils méritaient tout à fait que je sois la seule conne à attendre pendant des heures que les portes de la salle s'ouvrent enfin. Je suis comme ça, je n'ai peur de rien. C'est soit ça, soit l'absence de vie sociale. ( resituons le contexte, je suis au lycée et depuis quelques semaines, je n'ai absolument plus d'amis, plus personne, walou, mes meilleures amies depuis le primaire ayant décidé que «décidément quand on va à une fête tu bois trop ma grande, puis quand ça tombe sur toi à action ou vérité et qu'il faut que tu smackes un garçon, il faut pas lui rouler une pelle de 30min». Autant pour moi, j'avais pas compris. Donc, je tourne mal, j'ai sûrement des problèmes d'ailleurs, il vaut mieux me laisser seule, merci les filles.) Donc j'attends, il fait encore super jour ( bah oui en même temps Marseille, 17h en avril...), et super chaud, je m'installe sur les marches du perron et joue avec mon téléphone. Quand soudain (on dirait un roman à suspens), je les vois arriver. En vrai, je les connais pas, je ne sais pas à quoi ils ressemblent, j'ai jamais vu de photo. Mais c'est des anglais, c'est sûr, c'est eux. J'ai juste envie de rire tellement c'est un cliché. Jean slim noir, boots en cuir, polo Fred Perry col relevé. Et l'immanquable petite mèche de cheveux qui vient tomber sur les yeux. Bon d'accord, c'est plutôt cliché mais ils sont plutôt mignons. Ils me passent tous à côté pour rejoindre la salle. Je lance un «Hi guys!» des plus niais. Ca y est, j'ai envie de rentrer chez moi.

Quelques heures et quelques faux coups de téléphone plus tard, les portes s'ouvrent et j'entre, accompagnée d'une dizaine de personne, les autres ayant sûrement décidé que c'était plus cool d'arriver une fois le concert commencé. Ou alors de ne pas venir pas du tout. Un anglais blond, sorti tout droit d'une publicité pour dentifrice, tient le merchandising. J'achète un lot de badges. Après toutes ces heures d'attente, il me faut un souvenir. C'est comme si j'étais allée à l'étranger après tout. Il m'interpelle alors que je repars. Il veut que je lui traduise tout un tas de trucs. «How do you say «nice weather»? What's the word for...?». Je lui sers d'interprète pendant un quart d'heure puis la première partie commence. C'est nul mais je m'en fous, j'ai de la bière. Il n'y a toujours pas foule, je suis tout au bord de la scène. Puis enfin, c'est à eux. Et c'est donc à ce moment-là que je me rends compte que le blond de tout à l'heure se trouve être le batteur. Il vient faire une révérence devant moi avant de s'installer derrière sa batterie. Je deviens écarlate. J'ai envie de rentrer chez moi.

Le concert débute, mon pied tape le sol au son de la ligne de basse. Je balance la tête sur les accords vifs de la guitare. J'ai chaud, je bois une deuxième bière. Je suis toute seule, j'en ai rien à foutre, je connais les paroles alors je chante en chœur avec le chanteur. Et avant que je m'en rende compte, je saute sur place en rythme. Exactement comme quand j'écoutais leur album enfermée dans ma chambre. J'ai un grand sourire, je passe un super moment. Je suis juste devant le bassiste. Il sourit aussi. Derrière sa mèche. De temps en temps, il s'avance sur le devant de la scène, à quelques centimètres de moi. Je suis en admiration devant ses doigts qui accrochent les cordes.

Le concert se termine, les lumières se rallument. Je vais me chercher une dernière bière. La salle se vide déjà mais je n'ai pas envie de partir. Je sors mon téléphone et fait semblant d'être occupée histoire de grappiller quelques minutes. Le batteur revient en premier. «Hey you! How do you say french people are great?». Je rigole. On discute un peu et le bassiste arrive. Il n'a pas pris de douche, juste changé de polo. Ses cheveux sont collé par la sueur. Je le trouve sexy. Il me demande si je veux la set list, j’acquiesce. Je lui demande s'il veut bien la signer. Il sourit et rougit. Il est sexy. Le batteur me demande si je veux une bière et part en chercher dans les loges. J'épelle tant bien que mal mon prénom au bassiste, mais il ne comprends rien, commence à écrire, rature, recommence en dessus, fronce les sourcils, me redemande, rature. Il prononce plusieurs fois mon prénom pour s'en imprégner, je le rassure en lui disant que même les français n'y arrive jamais, que c'est pas un prénom connu, que c'est pas grave. Je vais pour récupérer la set list mais il la saisi au dernier moment et y note quelque chose. Je me rends compte que c'est la première fois que je discute comme ça avec un garçon, un homme, qui ne soit pas du lycée (oui, je l'ai déjà dit, vie sociale limitée). On n'est plus que tous les deux dans la salle vide, je me demande s'il me drague. Je me demande s'il croit que je suis en train de le draguer. Je me demande comment je m'y prendrais si c'était le cas. Rien qu'à cette idée, je sens mes joues prendre feu.

De temps en temps, il y a un blanc dans la conversation. J'ai peur de l'accaparer, j'ai peur qu'il ait peur de froisser une pauvre fan en lui disant qu'il doit y aller. Puis, toujours, il trouve quelque chose à ajouter. Un truc stupide, banal, qui me faire rire. On dirait qu'il n'a pas envie de partir. Je lui demande s'ils ont encore beaucoup de dates en France, je lui dit que j'aimerais bien les revoir jouer. En fait, bien sûr, c'est lui tout seul que j'aimerais revoir. Mais je ne sais pas si j'ai le droit de le lui dire. J'ai le cerveau en ébullition, je pense au fait que je n'ai jamais embrassé personne, sauf au jeu de la bouteille. Puis je m'en veux de penser ça, c'est stupide, il ne va pas m'embrasser, il est plus vieux et plus beau que moi, plus intéressant aussi, il joue dans un groupe, merde. Pourtant il est là, à me parler, peut-être qu'il me trouve intéressante. Un peu. J'ai chaud et j'arrête pas de toucher mes cheveux. Il cite vaguement quelques villes, puis un festival, cet été. Ah oui Rock en Seine, j'ai vu! Ca a l'air génial. La programmation est impressionnante. Je me suis renseignée pour y aller mais les places sont très chères. Il est étonné, remarque que c'est loin, demande comment je pourrais y aller, où je dormirais. Je lui explique que ce n'est pas un problème et qu'en plus il y a un camping. Il rougit et me dit que, si je veux vraiment, il peut m'inviter, ajouter mon nom à la guestlist, que c'est vraiment pas un soucis, que comme ça il y aura au moins une personne qui dansera à leur concert. Je suis tellement contente que j'en oublie d'être timide et de refuser par politesse. Je le remercie mille fois. Il sourit. Puis il regarde sa montre, ils vont bientôt devoir partir, un autre concert dans une autre ville demain, ils voyagent de nuit. Il s'agite un peu, me demande si je veux les baquettes du concert, va les chercher, me ramène aussi une bière «pour la route», me note son adresse mail sur un papier pour que je lui rappelle Rock en Seine parce que c'est dans quatre mois. Mais de toute façon il y pensera, il ajoute. Il pense à quelque chose, part sans rien dire et revient avec une cravate noire siglé avec le nom du groupe. Encore un cadeau, il dit. J'ai les bras chargés. Je vais y aller, je dis. Il se pose devant moi, immobile, les mains dans les poches « okay, okay », il hoche la tête. Je ne sais pas comment m'en aller, comment lui dire au revoir, comment finir cette soirée. Je me sens particulièrement conne, je ne sais plus rien faire, même pas mettre un pied devant l'autre. Putain, il est beau. Et putain, j'ai envie de l'embrasser. « So...i'm going ». Il sort ses mains de ses poches pour les poser sur mes épaules. Personne n'a jamais saisi mes épaules comme ça. D'ailleurs aucun homme ne m'a jamais touché. Volontairement. Et plus de deux secondes. Je suis pétrifiée, je décède de trois crises cardiaque en l'espace d'une minute. Il va m'embrasser, putain. Je fais quoi s'il m'embrasse. Je ne peux même pas bouger, j'ai plein de truc dans les mains, je ne peux même pas le toucher. Il se rapproche, putain il va m'embrasser, putain je vais être embrassée par un mec qui joue dans un groupe et qui a la classe, non ça on s'en fout, je vais être embrassée tout court. Et en plus il est beau. Et super sympa. Il se rapproche de plus en plus. Comment on va appeler nos enfants, un truc anglo-saxon improbable, genre Isla ou Cilliam. Il est tellement proche, je peux sentir l'odeur de son shampoing. Je ferme les yeux ou je ferme pas les yeux. Il s'éloigne de ma bouche. Pourquoi il s'éloigne. Reviens. La vie reprends sa vitesse normale. Il m'embrasse sur la joue droite puis sur la joue gauche. Il relâche mes épaules, sourit, «Rock en seine! August! See you there!». Je le remercie encore.

Il ne m'a pas embrassé. Je me retrouve sur le trottoir, il fait nuit et presque froid. Il n'y a plus personne dans les rues. Peut-être qu'il n'y a jamais eu de concert. Je range mes «cadeaux» dans mon sac à main. Puis je me souviens de la set list, je la sors de la poche de mon jean et la déplie:

 

« To Pretty Girl, hope to see you again, xoxo, J. »

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Commentaires
L
@JAli: Merci!<br /> <br /> @Alendyl: Oh que oui je l'ai revu! C'est le fameux bassiste dont je parle ici: http://fillehorizontale.canalblog.com/archives/2013/01/22/26218434.html
A
Waouh ! Quel suspens !! J'adore cet article !! :D Tu l'as revu ? Il t'a embrassé ? Fais nous rêver !!
J
Ta vie est un vrai roman !
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